9 octobre 2016

Retour d'expérience



Le mot d'Iris


« Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles qu’on n’ose pas les faire.
C’est parce qu’on n’ose pas les faire qu’elles sont difficiles. »


Première impression : Irréelle. Et oui pourtant nous l’avons bien fait, deux mois et demi sans argent. Sans un sou. Déconnectés de notre système économique. Jusqu’au-boutistes et heureux. Heureux d’avoir démontré que cette manière de voyager est possible. Heureux de cette aventure. Heureux de l’avoir accomplie.


Ce voyage m’a apporté joie, rires et émerveillements. Mais aussi fatigue, pleurs et déceptions. Ce mélange de hauts et de bas fut le fruit de nos expériences et chacune nous a enrichie. Un retour à l’essentiel m’était nécessaire pour prendre conscience du luxe dans lequel je vivais. Un confort dont je n’étais pas reconnaissante auparavant. Ce qui nous entoure, par habitude, nous devient bien souvent invisible. Ce voyage m’a ouvert les yeux. J’ai vu un monde où la générosité, le partage et l’humanité règnent. J’ai fait des rencontres merveilleuses, admiré des paysages magnifiques. J’ai beaucoup appris sur différentes cultures, utilisé plusieurs langages. J’ai constaté que chaque territoire est unique et nécessite un temps d’adaptation. Chaque personne est unique, possède une histoire a raconter et quelque chose à t’apporter. J’ai pris le temps de regarder, d’admirer, de discuter, d’être attentive, d’apprendre et de comprendre... Je me suis initiée à écouter mon corps, mes pensées, mes envies et ma respiration. J’ai appris à porter de l’attention à chaque rencontre, à ne pas négliger les coïncidences, à être reconnaissante de ce que la nature nous offre, à retrouver un sens spirituel et non matériel à ma vie.


Un retour en arrière m’a été bénéfique pour comprendre l’utilité primaire de la monnaie : faciliter l’échange et gagner du temps libre.


Tous les jours nous nous posions les mêmes questions : Où allons-nous trouver à manger ? Où allons-nous dormir ? Une voiture s’arrêtera-t-elle pour nous prendre en autostop ? Manger, se laver, attendre, se déplacer, faire ses besoins, s’hydrater, dormir... L’argent permet de nous libérer l’esprit de ces questionnements. Grâce à ce moyen d’échange, les hommes ont obtenu du Temps Libre. A l’aide de ce voyage, j’ai réalisé à quel point ce système d’échange entre humain était utile et le temps libre précieux. L’idée est de savoir utiliser cette monnaie et son temps libre à bon escient.


Nous avons réussi à nous nourrir grâce au gaspillage de notre société. Pourquoi dépenser de l’argent tant que des déchets (comestibles) ne cessent d’accroitre ? En sensibilisant les personnes autour de nous, nous avons ouvert les yeux à chacun sur cette société de surconsommation. Nous leur avons expliqué que nous possédions tous un poids politique important avec notre consommation. Nous avons rencontré de nombreuses personnes déjà sensibles à ces problématiques, mais à l’instar d’autres ne s’attendaient pas à voir autant de nourriture jeté sur les fins de marchés. Moi-même j’ai été choquée de voir autant de gaspillage et heureuse de ne rien pouvoir récupérer dans certains marchés de producteurs où rien n’était gaspillé et tout recyclé.


Chaque première fois est appréhendable. Il faut savoir oser. Je suis de nature timide et mes voyages m’ont beaucoup appris à prendre confiance en moi. Dans cette aventure, j’ai dû faire de nombreux premiers pas, aborder de nombreuses personnes, quémander de la nourriture, et souvent j’avais un bon retour et je faisais une belle rencontre et je me disais ‘Waouh il suffit vraiment de demander, c’est la clé’.


Je voudrais que ce ne soit pas à refaire, car j’aimerais voir cette société évoluer et changer. Mais tant que cette société perdurera, je continuerai. Je prendrai part au changement, car j’y crois profondément.


Je laisserai ma goutte d’eau dans cet océan.


« Rester c’est exister. Voyager c’est vivre. »



Le mot de Thibaut



Notre rapport à la consommation a été bouleversé durant ce voyage. J’ai personnellement apprécié le fait de se déconnecter du système de consommation. Cela m’a permis d’aborder un autre point de vue sur les personnes que nous rencontrions, les endroits que nous visitions… On ne visite pas les mêmes coins lorsque l’on est touriste. En tant que touriste, un chemin doré nous est tracé et nous amène tout droit à la consommation de masse : boutiques de souvenirs, nourriture à emporter, restaurants hors de prix, activités de loisirs. En plantant la tente dans les parties moins fréquentées des villages/villes, nous avons assisté à l’envers du décor. Au Portugal, nous avons plusieurs fois mis les pieds dans la partie pauvre des petites villes côtières touristiques, là où logent les saisonniers, dans des HLM gris et tristes. Bien loin de l’idéal lumineux du front de mer. Nous sommes tombés sur de vieux immeubles abandonnées. Bien sûr, le fait de ne pas utiliser de guide touristique nous mène tout droit hors de cette ‘zone de confort’ touristique pour atterrir dans le ‘vrai’ qui compose la grande majorité du territoire d’un pays.


Notre rapport à l’autre fut aussi bouleversé. Nous avons pu nous confronter à de multiples réactions lors de nos premières rencontres : l’aide, la peur, le don, la surprise positive et négative, l’incompréhension. La façon de présenter le projet a beaucoup joué. Nous l’avons fait évoluer au fil du parcours. J’ai pu m’apercevoir que le fait de se présenter comme membre d’une structure rassurait nos interlocuteurs. Dire que nous sommes étudiants dans une école, que nous faisons cela dans le cadre d’un stage pour une durée limitée. Il y avait quelque chose de rassurant là-dedans. Le fait de présenter le projet dans notre langue maternelle a largement facilité sa compréhension.


Mon rapport à l’argent est aussi différent. Je pense qu’avant ce voyage, je conceptualisais le pouvoir de l’argent mais je ne me rendais pas compte dans le concret de l’arme que tout le monde a (plus ou moins) entre les mains. Aujourd’hui, je réfléchis à chaque fois qu’une dépense doit être faite : en ai-je vraiment envie ? Ai-je le choix ? Mon acte se place-t-il dans un dessein positif ?


« Chaque fois que vous dépensez de l’argent, vous votez pour le type de monde que vous voulez. » (Anna Lappé)


Maintenant les billets et les pièces de mon porte-monnaie, ainsi que les chiffres de mon compte en banque sont vus comme des moyens de soutiens. Je vous achète vos tomates car je veux soutenir le modèle d’agriculture que vous pratiquez, etc… Ce voyage m’a permis donc de remettre de la SUBSTANCE au sein de ce concept mal compris qu’est l’argent.


Nous avons parcouru 5 pays dont 4 en langues étrangères (Suisse alémanique, Italie, Espagne – pays basque -, Portugal). Le premier palier de l’intégration est bien entendu la langue. Pas d’intégration sans communication. Sachant que le niveau d’anglais moyen des habitants de ces pays n’est pas très élevé, la communication fut parfois difficile ou limitante. Elle a joué un rôle de filtre : en favorisant le contact avec ceux qui pratiquent l’anglais au dépend des autres. Bien entendu nous avons fait des efforts dans chaque pays pour apprendre les basiques en se créant des fiches de mots utiles et des phrases toutes faites. D’autres formes de communication entrent en jeu comme le langage corporel (mouvements de mains, intérêt, sourire, active listening…). Nous possédions également un livre d’images destiné à montrer ce que l’on cherche ; nous ne l’avons, au final, jamais utilisé. Nous apprenions sur le tas la culture locale. Ce qui est ou n’est pas dans les moeurs – comme accueillir un étranger chez soi ou faire de l’autostop. Il faut savoir que la culture reflète un ensemble général mais ne tient pas compte des exceptions.


Nous avons voyagé à deux, en couple. Cela fut une facilité et une difficulté. Iris et moi partageons la même passion du voyage. Notre coopération au cours de ce voyage a reposé sur la communication et sur la force mentale à résister à la fatigue et aux aléas quotidiens. Faire du stop, plonger dans les poubelles pour ne parfois rien trouver, se réveiller tôt par de grosses chaleurs ; les journées ne sont pas monotones. Chaque jour nous étions rayonnants mais chaque jour aussi nous étions fatigués – physiquement ET mentalement. On peut voir ça comme une sinusoïde non périodique. Le fait est que dans ces moment Down on ne peut abandonner, il n’y a pas d’issues. Il faut avancer : chercher à manger, chercher à dormir, chercher à se déplacer. C’est là qu’intervient l’autre. Nous avons développé une faculté d’attention sur l’autre qui a permis de prendre le relais quand le partenaire était Down et de se reposer quand l’autre était Up. Je ne parle pas de parfaite synchronisation mais d’un effort de coopération permanent. Cela m’a appris plusieurs choses : prendre sur soi, redynamiser autrui, travailler pour deux, écouter son corps et son esprit, être dans le moment présent, réagir à l’imprévu…


Le self-control est important. On ne peut pas non plus se laisser aller au stress, on se doit d’être rassurant, calme et de trouver les solutions nécessaires et adaptées aux situations difficiles que l’on traverse. Nous portions tous les deux des sacs à dos de voyage de plusieurs kilos (une quinzaine pour Iris et une vingtaine pour moi). Cela implique plusieurs choses : une bonne forme physique pour pouvoir les porter ; une motivation mentale pour les remettre sur le dos jour après jour et une organisation sans faille dans leur rangement. La fin de notre voyage était tout de même marquée par la fatigue. Nous nous trouvions sous des chaleurs écrasantes la journée et nous flanchions quelque peu physiquement. Nous avancions moins, nous restions plusieurs jours au même endroit pour se reposer.


L’un des maître-mot de notre voyage fut peut-être l’ouverture d’esprit. De la part des autres mais surtout de notre part. On se devait d’être constamment intéressé par l’autre, ce qui ne représente pas un grand effort, cela est plutôt naturel pour nous. Mais lorsque quelqu’un vous prend en stop, vous ne pouvez pas simplement vous asseoir et ne rien dire. Il faut faire la conversation, valoriser cette rencontre, lutter parfois contre la fatigue morale. Là surgit l’importance de voyager à deux, pour prendre le relai, pour se soutenir. Nous avons aussi rencontré beaucoup, beaucoup de personnes et toutes différentes : de toutes les confessions, de toutes philosophies, qui soutenaient ou qui rejetaient notre projet.


Intellectuellement, il fut très intéressant d’échanger avec eux. De comprendre aussi leur façon de vivre, de s’interroger sur la nôtre. Nous avons vécu quelques temps avec des jeunes vivant en communauté dans une exploitation agricole perdue dans la montagne, qui vivaient selon une philosophie bien à eux de simplicité volontaire ou de sobriété heureuse. Nous avons aussi rencontré des personnes peu soucieuses de nos objectifs, comme une jeune femme travaillant dans le domaine de la finance qui voyait le monde tel un vaste océan de débits et de crédits. Le plus grand bonheur fut lorsque nous réussissions à donner le goût de l’aventure à des personnes vivant dans un quotidien répétitif. Un père de famille nous a avoué vouloir repartir à l’aventure, avant que son corps ne le lui permette plus, dès que sa fille terminera ses études.

Pour conclure


 Notre voyage de deux mois et demi a été des plus enrichissant. Nous avons rempli notre objectif puisque nous n’avons pas déboursé un sou. De plus nous avons pu exploré de nombreuses alternatives et prouvé qu’un tel voyage est possible. Nous sommes fiers d’avoir pu réaliser ce rêve, ensemble. A bien y réfléchir, cela nous apporté un cran de maturité. Nous avons découvert en nous et chez l’autre des ressources inexplorées et des capacités incroyables qui ne peuvent être mises en exergue seulement dans des conditions extrêmes. Ce voyage fut une belle école de la vie, bien plus que tout ce que l’on peut apprendre enfermé dans une salle de classe. Un voyage épanouissant en somme. Une expérience partagée.


Nous tenons à remercier toutes les personnes rencontrées sur notre route, celles avec qui nous avons partagé et ceux qui nous ont accueillis les bras ouverts. Celles qui nous aidé a construire ce voyage et ont cru en nous pour le réaliser. Celles qui nous ont suivi durant notre périple. Merci à ceux qui nous ont permis de financer notre matériel.


Le guide du voyage est en cours d'élaboration, il faudra être patient. Bientôt, vous pourrez vous en inspirer et le compléter avec vos expériences. 


Nous espérons que ce voyage vous aura inspiré.


Nos petites graines ont désormais bien poussé.






 Aventureusement votre,

Iris et Thibaut